Couches minces organiques et pérovskites

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Emmanuelle DELEPORTE
Lionel HIRSCH

Introduction et contexte

L’industrie du photovoltaïque est représentée à plus de 95% par le PV silicium car cette technologie est à la fois mature, fiable et offre des rendements de conversion PV de 26% en cellules et plus de 20% en panneaux commerciaux. Néanmoins, le fort développement de la filière PV au niveau mondial pour répondre aux besoins en énergies renouvelables posera le problème de la gestion des déchets des panneaux en fin de vie. L’agence internationale de l’énergie renouvelable (www.irena.org) prévoit que le PV génèrera entre 60 et 78 millions de tonnes de « déchets » cumulés en 2050 en fonction des scenarii. Il est donc crucial de prévoir la réutilisation ou le recyclage de ces déchets. L’alternative consiste à construire des modules avec moins de matière de façon à générer moins de déchets. Les technologies couches minces sont de ce point de vue parfaitement adaptées et l’impression des cellules et panneaux solaires est un domaine de recherche actif qui permet de répondre aux défis majeurs de la production d’énergie renouvelable tout en réduisant l’impact environnemental de la production industrielle des modules PV, en réduisant non seulement la quantité de matière pour la construction des modules mais aussi en utilisant des matériaux abondants. Les filières organique et pérovskite ont les atouts pour relever ces défis. Pour donner un ordre de grandeur, N. Espinosa et al. ont montré que l’EPBT (Energy Pay-Back Time) de l’OPV est inférieur à un an lorsque le rendement de conversion énergétique des modules est de l’ordre de 4%.(1) Actuellement, les records de rendement de conversion OPV ont atteint les 20% en laboratoire et plus de 7% en modules. L’OPV peut donc être qualifié de technologie écoresponsable. Regardons de plus près ces deux familles technologiques :

Les semiconducteurs organiques ­

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Figure 1 : silicium et semiconducteurs organiques

Que sont les semiconducteurs organiques ? Cette classe de semiconducteurs est basée sur des molécules organiques composées essentiellement de carbone et d’hydrogène ayant des liaisons π-conjuguées. Les électrons (et les trous) sont délocalisés le long de la molécule et le transport de charges entre molécules se fait grâce au recouvrement des orbitales π-π. Lorsque ces semiconducteurs absorbent la lumière, l’état excité est composé d’une paire électron-trou liée que l’on appelle exciton.

Comment fonctionne une cellule solaire organique ? A température ambiante les excitons générés sont stables et ont une durée de vie de l’ordre de quelques nanosecondes. Pour les dissocier en charges libres, une hétérojonction entre un semiconducteur organique à forte affinité électronique (accepteur d’électrons) et un semiconducteur organique à faible potentiel d’ionisation (accepteur de trous ou donneur d’électrons) est nécessaire. Ce mélange de semiconducteurs se fait majoritairement en volume de façon à créer des domaines nanométriques continus qui permettent de collecter les charges aux électrodes. Ce processus est particulièrement efficace car après optimisation, le rendement interne de conversion est proche de 100%.

Les cellules solaires organiques sont-elles efficaces ? Cette question est pertinente car il y a 20 ans, le rendement de ces cellules solaires n’était que de quelques pourcents. Les progrès sur la synthèse de polymères à faible gap ont permis d’augmenter ces rendements au-dessus de 10% et depuis 5 ans, l’émergence d’accepteurs d’électrons ayant un spectre d’absorption complémentaire aux semiconducteurs donneurs d’électrons permet d’atteindre des rendements de 19% en laboratoire.(2, 3)

Quels sont les axes de recherche actuels ? Les défis à relever sont encore nombreux pour pouvoir imprimer à grande échelle des panneaux PV organiques à haut rendement. Les plus importants sont la fiabilité, l’utilisation de solvants non toxiques, l’impression des modules PV dans leur ensemble (les cellules, les contacts, les pistes conductrices, les circuits de protection, etc). Le défi matériau est lui aussi immense car il s’agit de réduire le nombre d’étapes de synthèse et développer des procédés permettant de produire des semiconducteurs organique à échelle industrielle.

Les pérovskites hybrides halogénées

Les pérovskites hybrides halogénées sont une nouvelle classe de semiconducteurs à l’origine d’une rupture technologique sans précédent dans le monde du photovoltaïque. Les cellules solaires contenant des couches minces de ce matériau ont connu un développement spectaculaire ces dernières années : la première cellule à base de pérovskites hybrides est apparue en 2009, conçue à partir de l’architecture des cellules DSSC (Dye Sensitized Solar Cells), avec un rendement de conversion de 3,9%, (4) les premiers records certifiés par NREL (National Renewable Energy Laboratory) autour de 12% sont apparus en 2012-2013, pour atteindre à peine 10 ans plus tard des valeurs aussi élevées que 25,7%.(5)

Pourquoi les pérovskites hybrides halogénées ? Ce succès fulgurant est dû aux propriétés physiques exceptionnelles de ce type de matériaux : un coefficient d’absorption élevé provenant de la nature directe du gap, un gap situé dans l’infrarouge proche, proche de l’optimum requis pour avoir une efficacité maximale de collection des photons du soleil, des effets excitoniques faibles qui garantissent une séparation facile des électrons et des trous, des longueurs de diffusion très grandes, jusqu’à la centaine de microns, qui rendent possible une architecture planaire pour les cellules, et enfin une grande tolérance aux défauts qui permet de hauts rendements de conversion malgré un très grand nombre de défauts.

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Figure 2: Structure cristalline des pérovskites hybrides halogénées

L’engouement international qui a suivi les premiers résultats encourageants s’explique également par le fait que ces semiconducteurs sont synthétisés par des moyens de chimie douce peu coûteux en énergie : en solution, à des températures basses (n’excédant pas 100 °C) et sous conditions de pression ambiante. On ajoutera à la liste des avantages de ces nouveaux semiconducteurs leur flexibilité chimique : toutes les composantes de la molécule peuvent être ajustées pour optimiser les propriétés opto-électroniques et physiques en fonction de l’application recherchée.

La course au rendement a motivé une grande partie des études au cours des premières années, que ce soit en termes d’architectures des dispositifs, d’amélioration de la qualité du matériau ou de découverte des propriétés physiques fondamentales. Le rendement ayant atteint des valeurs extrêmement élevées en un temps relativement court, d’autres enjeux se sont rapidement imposés et sont maintenant considérés comme cruciaux pour la montée en TRL (Technology Readiness Level) et la commercialisation des dispositifs à base de pérovskites halogénées :

  • La réalisation de cellules tandem : le dépôt par des méthodes en solution ainsi que l’ajustement facile de l’énergie du gap dans le visible, font des pérovskites halogénées un matériau idéal pour coupler ces nouvelles cellules avec d’autres cellules de technologie plus mature, silicium ou CIGS. En moins de 5 ans d’études, un rendement de 29,8% a été obtenu en 2022 sur une cellule tandem Si/perovskite(5.
  • Les grandes surfaces : que ce soit pour les monocellules ou les cellules tandem, les méthodes de synthèse doivent être adaptées pour optimiser les rendements dans les modules de grande surface
  • La stabilité : les cellules à base de pérovkites se dégradent malheureusement sous l’action de l’eau, l’air, la lumière. Le matériau absorbeur lui-même, les couches de transport, les interactions entre les différentes couches sont impliquées. Beaucoup de travaux sont menés pour découvrir les mécanismes à l’origine de cette instabilité et y remédier. Des stratégies de passivation des interfaces, par des pérovskites bidimensionnelles ou par des SAMs (Self-Assembled Monolayers), d’ingéniérie de la composition du matériau absorbeur, d’encapsulation sont explorées. Toutes ces études ont permis d’améliorer considérablement la stabilité, mais cette valeur est encore loin d’être suffisante au regard des standards nécessaires à la commercialisation.
  • Vers un matériau et des méthodes de synthèse plus respectueuses de l’environnement : les pérovskites halogénées qui sont à l’origine des plus hauts rendements contiennent du plomb, et les synthèses emploient des solvants toxiques. La flexibilité chimique des pérovskites halogénées permettra sans doute de trouver des solutions pour éviter ces inconvénients.

La position de FedPV

Les laboratoires de FedPV couvrent tous les enjeux cruciaux auxquels les pérovskites sont confrontées : cellules tandems, modules de grande surface, stabilité, respect de l’environnement. Pour atteindre ces objectifs, FedPV peut s’appuyer sur ses points forts :

  • Un ensemble très complet de moyens de caractérisation avancée structurale (dont l’accès au synchrotron SOLEIL), morphologique, chimique (dont XPS), optique, électrique, mis en commun autour d’objectifs partagés
  • Des compétences fortes et reconnues sur l’étude des propriétés physiques fondamentales du matériau : couplage structure / propriétés électroniques et optiques, propriétés excitoniques, migration d’ions, passivation de surface, propriétés de transport …., couplées à des capacités d’innovation dans l’ingéniérie chimique du matériau : pérovskites de différentes dimensionnalité, pérovksites fonctionnalisées, dopage….
  • Des architectures de cellules innovantes à base de couches de transport originales et de nanostructuration

Plusieurs laboratoires de FedPV travaillent aussi bien sur les pérovskites que sur l’organique. Si ces deux technologies diffèrent sur les matériaux et la physique, les moyens technologiques pour la fabrication et la caractérisation sont très similaires. Les défis de l’organique se focalisent sur :

  • Les procédés de fabrication à base de solvants non toxiques pour le transfert industriel. Deux entreprises françaises jouent un rôle majeur dans le domaine : ARMOR et Dracula Technology.
  • L’impression des modules PV dans leur ensemble (les cellules, les contacts, les pistes conductrices, les circuits de protection, etc).
  • La synthèse des semiconducteurs organiques où il s’agit de réduire drastiquement le nombre d’étapes de synthèse et développer des procédés permettant de produire des semiconducteurs organiques à échelle industrielle.
(1) N. Espinosa, M. Hösel, D. Angmo, F. C. Krebs, Energy Environ. Sci. 2012, 5, 5117.
(2) Yong Cui et al. Adv. Mater. 2021, 2102420
(3) Kaien Chong et al. Adv. Mater. 2022, 34, 2109516
(4) T. Miyasaka, J. Am. Chem. Soc. 2009, 131, 17, 6050–6051
(5) Best Research-Cell Efficiency Chart, https://www.nrel.gov/pv/cell-efficiency.html
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